Pourquoi j’ai choisi la Gauche Anticapitaliste

J’ai décidé en juillet dernier de militer à la Gauche Anticapitaliste et de quitter le NPA. Et puisque je ne veux pas qu’on en imagine les raisons, je préfère les écrire. Je suis militant révolutionnaire depuis 1985, et j’ai toujours fait ce que j’ai pu pour encourager et soutenir les différents combats de l’heure — syndicaux, antiracistes, pour les droits des homos, contre l’islamophobie, etc. En même temps, je reste convaincu que le changement décisif dans la société viendra lorsque le pouvoir sera arraché aux mains des grands capitalistes et exercé de façon démocratique par la classe qui produit tout. Pour que cette révolution réussisse un jour, il faut une ou des organisations de révolutionnaires qui développent et communiquent leurs idées tout en étant les plus combatifs et les plus unitaires dans l’action pour des objectifs immédiats.

Ces principes généraux ne règlent pas tous les problèmes, loin de là. Comment s’assurer qu’une organisation et ses militants ne soient pas tentés par une intégration dans les structures du gouvernement, satisfaits de toutes petites réformes et abandonnant dans les faits l’objectif du renversement du capitalisme ? Et comment s’assurer qu’un regroupement ne se recroqueville pas sur lui-même, bien au chaud avec ses débats très techniques entre anticapitalistes, dans des cercles extrêmement limités, et incapables de s’adresser au plus grand nombre ? Il n’y a pas de solution facile. La nature « révolutionnaire » d’une organisation, soigneusement inscrite dans ses statuts ne garantit aucunement que, sous les pressions d‘une crise économique et sociale aigue, le parti ne se détourne pas du principe que les travailleurs ne peuvent se libérer que par eux-mêmes.

Mon engagement m’a amené à militer d’abord au Socialist Workers Party en Angleterre et ensuite, de 1986 à 2000 au sein d‘une petite organisation révolutionnaire française, Socialisme International. L’espace pour les petits groupes se réduisant, et la LCR ayant entamé un tournant vers un parti plus dynamique et plus ouvert, notre groupe a rejoint la LCR en 2000.

Pendant pas mal de temps j’ai pensé que le NPA, qui regroupait des révolutionnaires avec des idées de stratégie très variées était le meilleur endroit pour militer. Ceux au NPA qui ne voyaient aucune possibilité d’un mouvement à gauche de la gauche qui ne soit pas un mouvement de révolutionnaires avaient tort à mon sens, mais tant que les réformistes radicaux n’étaient pas très influents, ce désaccord n’avait pas de conséquences trop graves. De plus, le NPA étant extrêmement fédéral, en pratique chaque section avait une large liberté pour interpréter à sa guise le programme du parti.

Mais les mois récents, et notamment l’attitude de la direction du NPA envers la montée du Front de gauche, la campagne présidentielle et la tentative de Mélenchon de s’opposer à Marine Le Pen, ont changé la donne. Lorsque Mélenchon a réuni 60 000 personnes dans un rassemblement à Paris, il n’y avait ni tract NPA ni militants pour tracter. Le cours fondamental du NPA fut d’opposer organisation à organisation, et pas classe à classe. Il y a un nom pour cela, cela s’appelle le sectarisme. J’hésite à le nommer car je sais que l’insulte « sectaire » est fréquemment lancée à l’intention de tous ceux qui cherchent une compréhension claire et une tactique déterminée dans la lutte des classes. Mais on voyait de plus en plus dans les rangs du NPA l’attitude « Nous sommes la seule gauche » qui est l’attitude depuis bien longtemps de Lutte Ouvrière. Le moment était venu pour moi de militer ailleurs.

Je trouverai certes un certain nombre de désaccords avec d’autres militants au sein de la Gauche Anticapitaliste. Depuis vingt ans, le combat contre l’islamophobie a été une priorité pour moi ; ce n’est pas le cas de tous les militants de la GA. Une partie des idées « vertes » telle que la défense de la décroissance ne me convainc pas : je suis persuadé qu’une approche matérialiste marxiste permet déjà d’inclure l’utilisation intelligente de l’environnement naturel, alors je n’ai jamais aimé l’étiquette « rouge-vert ». Enfin, les analyses au sein de la gauche anticapitaliste sur la révolution socialiste et sur la nature des Etats tels que Cuba sont assez hétérogènes.

Pourtant, je suis content de partir et de travailler à la construction d’une force anticapitaliste unitaire. Mon départ ne signifie pas que je considère les camarades qui restent au NPA comme politiquement négligeables ou inutiles ; au contraire, je suis convaincu que s’il y a un front efficace contre l’austérité, les militants du NPA y auront un poids important, car l’énergie et le sérieux de ces combattants ne peuvent pas être mis en doute. Mais je trouve que le désaccord stratégique, longuement et démocratiquement débattu, est devenu paralysant pour une organisation politique, et qu’il vaut mieux que les deux stratégies, finalement incompatibles, soient chacune mise à l’épreuve séparément, en espérant que l’expérience montrera la meilleure. C’est pour ça que je vais partir, avec l’essentiel de la GA, qui veut s’orienter vers la construction d’un pôle anticapitaliste au sein du Front de Gauche.

Comme l’a exprimé un de mes camarades, puisqu’aujourd’hui il existe une demande très large dans la classe ouvrière pour un changement radical (les événements de cet été en Grèce et en Espagne le témoignent), mais que pour la plupart des salariés en France la distinction entre « réforme » et « révolution » n’est pas du tout clairement établie, nous avons tout intérêt à nous intégrer dans des structures larges où les débats peuvent avoir lieu devant un grand public de gens radicalisés.

La division en Grèce récemment, entre les révolutionnaires qui étaient prêts, tout en gardant leur autonomie de parole, de soutenir de façon critique l’alliance Syriza, et les révolutionnaires qui mettaient au premier plan le rejet de l’organisation réformiste qu’est Syriza illustre une question primordiale. Je crois que ce sont ceux qui ont soutenu Syriza qui ont eu raison.

Les conflits factionnels ne font jamais ressortir le meilleur de chacun. Néanmoins, il me semble important que le débat au sein de la gauche anticapitaliste ne tourne pas autour des dires des uns ou des autres considérés par d’autres comme inacceptables. Encore moins autour de qui devrait recevoir quel pourcentage de l’argent que l’Etat bourgeois nous a donné grâce à nos résultats électoraux.

Le conflit et la division viennent de la situation des travailleurs en Europe. Quel est l’équilibre à tenir entre une implication active enthousiaste et unitaire avec tous ceux qui veulent faire reculer la dictature du profit, et une clarté des idées révolutionnaires, expliquées et réexpliquées au sein de débats permanents et fraternels ? La capacité des anticapitalistes à bien répondre à cette question est un des enjeux clé de la présente période.

John Mullen août 2012

 

Home       Accueil