Violence, non-violence et révolution

A la télévision française, les images d’un groupe de jeunes qui brisait les vitres d’un Macdonald au centre de Prague étaient accompagnées du texte « le pire des violences s’est produit vers minuit,… ». Les mêmes médias parlent bien moins des sévices et matraquages infligés par la police sur des militants. L’hypocrisie absolue de considérer que briser des vitres c’est pire que matraquer des jeunes ou encore que programmer la mort par la famine de milliers d’enfants saute aux yeux. Mais au sein du mouvement anticapitaliste lui-même, la question de la violence ne fait pas de consensus.

À Prague, certains manifestants portaient des T shirts « Je suis non-violent ». Des centaines de personnes ont suivi des camps de formation sur « l’action directe non-violente » avant Prague. D’autres, dans des discussions, défendaient la position que si les manifestants devenaient violents, ils « se mettaient au même niveau que les flics » et que donc leur protestation n’avait plus de légitimité.

Après les affrontements entre policiers et manifestants, même les organisateurs des manifestations, INPEG ont fait une conférence de presse où ils ont condamné les manifestants « violents » au même titre que le FMI.

C’est une énorme erreur de dénoncer des manifestants de cette manière. Des jeunes en colère face à des policiers, des chars, du gaz et des canons à l’eau qui protègent une bande d’assassins en costard vont évidemment, parfois, avoir envie de casser des vitres ou de jeter des pierres à la police. Ils sont quand même des nôtres.

Cela ne veut pas dire qu’ils ont choisi la bonne tactique. Si briser les vitres des fast food pouvait faire reculer la dette du Tiers-monde ou affaiblir le FMI, je serais évidemment en faveur. Malheureusement, il n’en est rien. Au contraire, une concentration sur des tactiques « violentes » rend plus difficile une participation de masse dans une manifestation. Seuls les plus déterminés, en bon état physique peuvent être concernés. Mais c’est l’action de masse qui est la clé. Une tactique de « petites bandes armées » est élitiste – une petite minorité qui agirait « au nom du peuple ». Il faut au contraire impliquer le maximum de monde.

Il faut aussi choisir son champ de bataille. Dans une bataille militaire rangée contre les soldats et les chars que nous avons vus à Prague, nous n’avons aucune chance de l’emporter. Notre force est ailleurs, et surtout dans les organisations des travailleurs. Car le FMI organise l’exploitation, le profit. Mais ce sont les millions de travailleurs dans le monde qui produisent la richesse dont dépendent tous les capitalistes et le FMI. C’est pour cela que c’était encourageant de voir beaucoup de représentants de syndicats dans les manifestations à Prague et ailleurs dans le monde le 26 septembre.

Mais s’il faut rejeter la tactique de petites bandes armées parce qu’elle est élitiste, il faut dire la même chose de « l’action non-violente ». L’idée de se concentrer sur le besoin de camps de formation à la non-violence, du besoin de se purifier, rejeter la violence en soi pour pouvoir s’y opposer dans le système est une fausse démarche. Elle suggère que le problème, l’inhumanité, réside dans chacun de nous, pas seulement dans un système de profit qui nous a été imposé. Elle propose comme solution de nous transformer. Et elle tend à limiter l’action contre le système à des gens qui ont le temps et la disponibilité d’étudier et de se former en « non-violence ».

Dénoncer toute violence est impossible sans abandonner les opprimés à la soumission. Qui peut sérieusement mettre dos à dos les jeunes palestiniens à Jérusalem ou à Gaza qui jettent des pierres, et les soldats israéliens qui défendent le pays qui assure que la vie des Palestiniens reste misérable ? Pour en finir avec la violence du système, il faudra, au bon moment, une violence de masse, révolutionnaire, contre les oppresseurs. Mais pour le mouvement anticapitaliste, la première étape est de se lier aux masses.

John Mullen

Cet article est paru dans Gauche ! en 2000